Le 24 août 2006
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C'est ainsi que les principaux journaux Turcs ont interprété la manifestation de plus de 25.000 Turcs séculaires qui ont marché le 18 mai dernier, à Ankara, en direction du mausolée du fondateur de la République turque, Mustafa Kemal Ataturk, dans un acte de défense du système séculaire turc.
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La manifestation, emmenée par de hauts membres du pouvoir judiciaire, a pris corps à l'improviste au lendemain du meurtre d'un juge séculaire turc par un avocat turc.
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Le motif ? En février dernier, le juge Mustafa Ozbilgin a, avec 4 autres juges, voté contre la promotion au rang de directrice d'école d’une enseignante portant le voile. L'avocat meurtrier se serait qualifié de « soldat de Dieu » avant d'assassiner le juge. Des portraits des juges avaient été publiés dans un journal pro islamiste, Vakit.
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Des slogans étaient entonnés tels que « La Turquie est séculaire et le restera » et « meurtriers » lorsque plus tard les membres du gouvernement tentaient d’entrer dans la mosquée où des prières étaient lues. Les manifestants ont également appelé le gouvernement à démissionner.
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En effet, après la décision des juges concernant l'affaire de l'enseignante, le Premier Ministre Recep Tayyip Erdogan et certains ministres issus de son parti AKP (dont les origines sont islamiques) avaient critiqué la décision du juge.
Point important, le Premier Ministre n'était pas présent lors des funérailles du juge.
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Bien que le Premier Ministre ait condamné le meurtre du juge, son gouvernement est accusé d'avoir créé un climat propice à de telles violences. Les séculaires sont inquiets du processus d'islamisation de la Turquie, phénomène qu'ils attribuent au gouvernement islamiste.
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Le Président Ahmet Necdet Sezer, politiquement proche de l'opposition CHP (Parti du Peuple Républicain) a décrit le meurtre du juge comme une « tache noire dans l'histoire de la République ».
Hilmi Ozkok, le chef de l'état-major, a appelé a plus de manifestations.
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L'interdiction du voile est un débat délicat au sein d'une Turquie qui se trouve, depuis l'élection du gouvernement islamiste en 2002, dans un conflit opposant les institutions séculaires et le gouvernement islamiste.
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Cette tragédie peut être interprétée comme un signe soulignant la frustration vécue par la classe religieuse dans un pays certes musulman (à 98%) mais séculaire avant tout.
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La montée du fondamentalisme religieux n'est pas un hasard ; elle n'est pas née de l'initiative de quelques individus mais doit ses origines à ce qu'on appelle « kadrolasma » en Turquie.
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L’actuel Premier Ministre a beaucoup appris lors de son emprisonnement pour avoir récité des poèmes religieux portant atteinte aux fondements mêmes du kémalisme en Turquie, ceci juste quelques années avant de se présenter aux élections comme un « modéré » et un adhérent aux principes kémalistes.
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C'est une combinaison d'événements qui a fait de l'AKP le parti vainqueur des élections en 2002 : un peu de chance, un peuple fatigué par la crise économique et déçu par une classe politique sourde et corrompue. C’est ainsi que le peuple a opté pour la nouveauté.
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Conscient du pouvoir de l'armée ultra kémaliste, le gouvernement a opté pour une islamisation en mode sous terrain, d’où « kadrolasma », plutôt que d'opérer ouvertement. Ceci se traduit par un placement de religieux, pardon de « modérés » comme ils disent eux-mêmes, aux postes clé de l'Etat.
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Conséquences : des ouvertures d'écoles religieuses, une interdiction de consommation d'alcools dans certains endroits, des constructions de mosquées… il semblerait que nous avons un trop grand nombre d’écoles, hôpitaux… Leur façon de procéder pourrait se résumer à du « soft power », ce terme désignant originellement la méthode américaine pour augmenter leur influence par des voies plus douces qu’une intervention armée comme des relations publiques, des moyens culturels, commerciaux…
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L’AKP s'est approprié ce terme et en fait, je dois l'admettre, un excellent usage. Son omniprésence dans les medias, ses déplacements dans les régions les plus pauvres dont le nom n'apparaît même plus sur la liste des régions à visiter lors des campagnes politiques d'autres politiciens, eh bien l'AKP s’en rappelle sans oublier sur son passage de promettre aux parents démunis de financer l'éducation de leurs enfants en échange d'un vote continu en leur faveur. L’AKP a une incroyable politique de relations publiques s’étant octroyé les services d’une des meilleurs agences de relations publiques du pays.
Tellement sympathique l'AKP qu'il est même possible de voir parmi les filles voilées manifestants contre l'interdiction du port de voile, de jeunes filles en mini jupes les soutenant, innocemment, au nom des droits civils. Tous ces changements sont justifiés par le Premier Ministre comme le signe de l'ouverture d'esprit de la société turque, comme une démocratie qui fonctionne bien en Turquie. Paradoxe intéressant, s'il n'en tenait qu'à l'armée turque, aucun de ces « développements démocratiques » n'aurait eu lieu.
Mais Bruxelles veut plus de démocratie, plus de respect des droits de l'Homme en Turquie !
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Le Premier Ministre Erdogan et son gouvernement ont avec succès manipulé les exigences de Bruxelles en matière de « droits de l'Homme » en Turquie et par là même appliqué leur programme caché, l'islamisation de la Turquie.
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Faire fonctionner une démocratie est plus facile lorsque la religion ne menace pas les fondements d'une constitution laïque. La Turquie est un pays jeune qui a une structure politique et sociale fragile.
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L’établissement en seulement 83 ans de la République turque sur le plan politique, économique, social, culturel devrait être encouragé de manière à ce que nous puissions continuer notre long chemin vers une Turquie exempte de tout fondamentalisme religieux. Ce dernier est un danger qui pourrait détruire tout ce pourquoi la Turquie a toujours aspiré : une Turquie moderne, stable, laïque et, avant tout, une préservation de son identité Kémaliste.
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Arzum Karasu
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Photo:
Is it time for Turkey ?(Source: Parlement européen)
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Non à la Turquie dans l'Europe!
Rédigé par : Damien C. F. | 21 octobre 2006 à 15h14
Merci de rappeler que la laïcité existe en Turquie!!!
Rédigé par : Flavien | 26 septembre 2006 à 08h00
La Turquie sera t-elle prête un jour à entrer dans l'Europe?
Franchement, non!
Ce n'est pas un Etat démocratique, cet article le prouve très bien.
Rédigé par : Henry | 10 septembre 2006 à 12h03
Comment pourrait-on accepter que la turquie entre dans l'Europe quand on voit à quelle point la religion guide l'Etat. La turquie n'est pas un vrai Etat laic et ne peut donc pas entrer dans l'Europe... en tout cas pas en mon nom!
Rédigé par : Bastien | 10 septembre 2006 à 11h47
C'est dit! La turquie n'est pas un pays d'extrémistes religieux mais au contraire un pays où le principe de laïcité existe depuis des décennies et comme dans d'autres pays européens on s'y bat au quoditien pour que ce principe demeure!
Rédigé par : Spaceman1 | 09 septembre 2006 à 23h37
Excellent article. Il recadre la question de la laïcité en turquie et contredit bien des préjugés en la matière.
Rédigé par : Sabrina Guillaume | 08 septembre 2006 à 19h12